jeudi 2 août 2018


Dissertation de philosophie n°2 : Puis-je savoir qui je suis ?

" Connais-toi toi-même " : cette inscription placée sur le fronton du temple de la pythie de Delphes est très célèbre. Cependant cette devise delphique, qu'on attribua à tort à Socrate, n'était pas un encouragement à une connaissance psychologique de soi, mais un rappel à l'ordre. Elle avait pour but de remémorer aux individus qu'ils n'étaient que des mortels : elle invitait les voyageurs à la prise de conscience de leurs propres limites. On oublie d'ailleurs que cette exhortation, " Connais-toi toi-même ", était suivie de " …et tu connaîtras les dieux. "
Un individu disposant d'une connaissance parfaite de soi serait donc l'égal d'un dieu. Pour les philosophes grecs, la connaissance de soi-même est synonyme de sagesse. Elle permettrait en effet à l'individu de prendre conscience de ses propres limites, de se libérer de ses défauts, de développer ses qualités, et, en faisant abstraction de tout ce qui dans le " je " n'est pas personnel, de prendre conscience de sa véritable identité et, au fond, de sa liberté.
La devise delphique laisse entendre que nous ne nous connaissons pas réellement, que la connaissance de soi n'est pas une donnée immédiate de la conscience. Elle nous invite donc à entreprendre une recherche, une descente dans les profondeurs de notre intériorité pour trouver l'essence de notre être. Or, cette recherche passe d'abord par la découverte et l'affirmation de notre moi. Cette affirmation est le fondement de la philosophie cartésienne en même temps que celui de toute entreprise de recherche de sa propre identité. Pour approfondir la connaissance que nous avons de nous-mêmes, il faut donc se demander s'il est légitime de parler du soi par soi et quels en seraient les moyens et les conditions.
La recherche de la connaissance de soi a une condition : le sentiment de notre être. Descartes, dans son Discours sur la méthode, prouve que l'affirmation " Je pense, donc je suis " (c'est à dire le cogito, " premier principe " de la philosophie cartésienne) est " si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques [ne sont] pas capables de l'ébranler. " En effet, il est possible de douter de tout, même de l'existence effective de notre corps et du monde autour de nous, sauf de l'existence de notre pensée, de notre je. A partir du moment où nous nous rendons compte de l'irréfutabilité de l'existence de notre pensée indépendante, nous prenons conscience de notre " je. " Il nous est permis alors d'entamer la recherche de notre " moi ", c'est à dire de la nature de notre propre identité.
Certains philosophes imaginent que nous avons à tout moment " la conscience intime de notre moi " (Hume), que nous avons un sentiment invincible de la connaissance de nous-mêmes que nous ne mettons que rarement en doute. Cependant, avoir un sentiment immédiat de notre être, ce n'est pas avoir une connaissance pleine et entière de soi. Il arrive que nous nous surprenions nous-mêmes, ou que nous passions par de graves crises de remise en question. Notre comportement, notre façon de penser varient suivant nos expériences. La connaissance de soi implique une recherche, et cette recherche doit disposer de moyens adaptés à son but.
Nous sommes a priori les mieux placés pour nous connaître ; par l'introspection, nous pouvons accéder à une certaine connaissance de nos sentiments, de nos qualités et de nos défauts, de nos motivations et de nos convictions. Mais accède-t-on à un niveau particulier de la réalité mentale par l'introspection, ou cette méthode tend-elle a susciter l'objet même auquel elle prétend accéder? Le paradoxe de l'introspection est que le sujet se confond avec l'acte de s'observer lui-même. De même l'introspection est normalisée par le langage. Il n'en reste pas moins que l'idée de "savoir " ce qu'on est soi-même soulève des difficultés de principe : en quel sens emploie-t-on " savoir ", s'il s'agit d'intériorité ?
Il paraît difficile par ce moyen d'avoir une connaissance objective de nous-mêmes : la connaissance que nous pouvons avoir de nous par l'introspection passe à travers le filtre de l'opinion que nous nous faisons de nous. Ainsi, nous pouvons être tentés d'exagérer, d'amoindrir ou de taire certains de nos défauts. Dans son roman de science-fiction La Révolution des Fourmis, Bernard Werber nous rappelle que " pour comprendre un système, il faut… s'en extraire. " Or, il est impossible de " sortir de soi " ! Je suis à la fois le sujet et l'objet. Le Je qui pense le moi en est une émanation. L'introspection ne peut, seule, mener à la connaissance de soi. De plus, elle est presque impuissante à juger nos actions sans prise de recul : le temps et l'expérience qu'il délivre permet parfois de porter un regard réellement critique sur le " soi " que l'on était auparavant - mais elle ne peut permettre d'éviter les ennuis ayant résulté d'une mauvaise action passée de notre part, elle permet tout au plus de prendre conscience de nos erreurs passées.
Il apparaît donc clair que l'introspection ne peut suffire au philosophe recherchant son identité réelle. Il lui est indispensable de prendre en compte les réactions de l'Autre devant les manifestations dans le monde extérieur de sa pensée, de ses sentiments. Si possible, il devra faire directement appel au jugement de l'Autre. Il lui sera ainsi permis de prendre conscience de ce qu'il se cachait, de ce à quoi il n'avait pas pensé. Il aura l'impression que la vérité lui " saute aux yeux ", et il aura fait un grand pas dans la connaissance qu'il a de sa propre intériorité.
Cependant, ce deuxième moyen d'accéder à la connaissance de soi n'est pas parfait ; en effet, la vision que l'Autre nous donne de nous-mêmes, si elle a le mérite d'être différente de la nôtre, n'est pas purement objective : son jugement peut être déformé par l'amitié ou l'antipathie qu'il éprouve pour nous. En outre, sa critique est nécessairement incomplète, puisqu'elle ne peut s'appliquer que sur les traits de notre caractère que nous laissons transparaître, consciemment ou non, au-dehors. L'Autre ne peut voir que mon masque social, le " persona " des latins. De plus, l'Autre n'a pas forcément connaissance de notre expérience personnelle, qui influence considérablement notre psychisme. De sa place, il ne voit qu'une facette, qu'une manifestation de notre personnalité, certainement influencée par sa présence. Le regard de l'observateur modifie déjà l'objet d'observation : alors quand cet objet est un sujet capable de se modifier lui-même, cela nous entraîne dans un jeu de miroirs peu propice à l'observation.
En effet, nous sommes des êtres changeants : notre manière d'être, notre rapport aux choses, nos convictions, peuvent varier infiniment d'un moment de notre vie à un autre. Là encore, notre expérience personnelle joue un grand rôle sur ce que nous sommes, en influençant l'évolution de nos pensées conscientes et inconscientes. Deux amis d'enfance se retrouvant après plusieurs années risquent de ne plus se reconnaître, voire de ne plus prendre plaisir en compagnie de l'autre, tandis que si leurs voies ne s'étaient pas séparées, leur amitié serait peut-être restée intacte.
La connaissance de soi ne peut donc être à la fois totale et définitive : l'évolution de ce que nous sommes, conditionnée par l'évolution du monde autour de nous, est un processus continu, qui ne connaît de fin qu'avec la mort. . " La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus " Montaigne, (Essais 1.3) souligne ainsi la perpétuelle mutation, la marche en avant de l'être. Il montre aussi que notre faculté à nous projeter vers l'avenir constitue un obstacle à la connaissance de notre moi.
S'il est probable de retrouver chez un individu les mêmes traits de caractère à différentes étapes de sa vie, il est fort rare que ces caractéristiques mêmes qui font la spécificité de cette personne n'aient pas évolué tout au long de son existence. "On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. " (Héraclite.) La recherche de notre " moi " s'apparente donc à la recherche philosophique de la sagesse, dans la mesure où cette recherche est infinie. Se connaître soi-même, ce serait se chercher à chaque instant, s'exercer sans cesse à l'autocritique.
Cet appel régulier à l'autocritique, on l'a vu, doit s'appuyer à la fois sur l'introspection et l'appel au regard de l'Autre, et rechercher la vérité dans la confrontation des subjectivités. La recherche de la nature du " moi " nécessite un esprit critique envers soi-même, une grande capacité d'abstraction (puisqu'il faut s'efforcer d'oublier son amour-propre pour se considérer le moins subjectivement possible), une grande constance (il ne faut jamais se surprendre à croire que l'on se connaît " une fois pour toutes ") et un esprit à la fois analytique et synthétique : pour arriver à la connaissance de soi, il faut en effet savoir confronter efficacement les subjectivités (la sienne et celle de l'Autre) pour en faire jaillir la vérité.
Cependant est-il possible d'accéder à une connaissance pleine et entière de soi ? Il est clair que les moyens que nous avons passés en revue permettent d'explorer notre intériorité, mais leur combinaison adroite peut-elle, seule, nous amener à la connaissance de l'ensemble de notre être ?
Les découvertes de la psychanalyse, et les travaux des différents philosophes que l'on peut qualifier de " précurseurs " de cette science, semblent prouver que non. En effet, notre conscience ne serait qu'une partie de notre " moi " total, autrement dit, l'Homme est plus que la simple conscience qui semble a priori le diriger. Rêves, actes manqués, lapsus, névroses et psychoses diverses attestent l'existence d'un " moi " plus profond que notre " moi " pensant et organisateur de pensée, d'un inconscient formé de pensées refoulées par un " organe de censure " de notre conscience mais qui, parfois, remontent à la surface - et se traduisent par des " symptômes " parfois dangereux pour la personne.
Freud, le fondateur de la psychanalyse, affirme même dans sa Métapsychologie que " ce n'est qu'au prix d'une prétention intenable que l'on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience. " Autrement dit, la conscience ne représente qu'une infime partie de notre moi, et toute connaissance de ce que nous sommes vraiment est définitivement hors de notre portée.
La conscience ne serait qu'une île minuscule, perdue au milieu d'un immense océan de pulsions refoulées. Les habitants de l'île de Conscience seraient de malheureux sauvages, toujours le ventre vide, en même temps effrayés et attirés par l'étendue d'eau sans limites s'étalant autour de leur territoire. L'île de Conscience est régulièrement submergée par les vagues de l'inconscient, causant des dégâts considérables.
Les Consciencieux aimeraient découvrir le vaste monde, mais les misérables arbres aux branches tordues poussant sur le sol rocailleux de leur îlot ne peuvent suffire à la construction du navire de fort tonnage qui pourrait servir à leur expédition. De plus, certains d'entre eux sont terrifiés par la Mer de l'Inconscience et par les créatures qui en habitent les profondeurs.
De plus, il existe sur l'île de Conscience des terres en friches, inexplorées par ses habitants. Dans ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, Leibniz montre qu' " il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, […] dont nous ne nous apercevons pas. " Il existe en effet des " degrés " dans l'échelle de la conscience : conscience en sommeil, conscience éveillée, conscience active, conscience absolue. Il faut bien admettre que la plupart du temps, nous ne prenons pas la peine d'analyser tous les messages qui nous parviennent. En passant d'un degré de conscience à un autre, nous éprouvons, en un court instant, la sensation d'un homme qui, après des années passées dan un cachot obscur, recouvre sa liberté et contemple à nouveau la lumière du jour. Cependant nous passons la plus grande partie de notre vie dans la pénombre de notre conscience, nous ne prenons en compte, des sensations qui nous parviennent du monde extérieur, que celles qui s'imposent directement à nous avec force ; or, pour accéder à la pleine conscience de nous-mêmes et du monde extérieur, il faudrait réinvestir le terrain de notre entendement, et ramener vers la conscience tout ce qui nous parvient, ainsi que tout ce que nous avons en apparence oublié mais qui agit encore sur notre psychisme. C'est un véritable travail de tous les instants, peut-être le véritable sens du mythe de Sisyphe.
Autrement, nous serions condamnés à mener une vie de fantômes, au milieu des ténèbres de l'absence de conscience. " Nous sommes des automates les trois quarts de notre vie ", disait Leibniz. En effet, nous sommes le plus souvent guidés par nos habitudes, nos réflexes, notre éducation et nos sentiments inconscients que par notre véritable conscience.
Faut-il cependant, devant les faits mis en évidence par la psychanalyse, abandonner toute recherche de soi ? Faut-il, au contraire, poursuivre l'entreprise commencée et aller toujours plus avant dans la recherche de la connaissance de soi ? Avons-nous les moyens d'explorer notre inconscient ?
S'il est fort improbable que nous puissions parvenir à une connaissance absolue de nous-mêmes - ce qui ferait de nous l'égal des " dieux " qu'évoque l'inscription du temple de Delphes -, nous pouvons tout de même accéder à une meilleure connaissance de nous-mêmes.
L'introspection nous permet de mettre de l'ordre dans nos sentiments, l'appel au regard de l'Autre nous donne une vision de nous-mêmes plus objective, la psychanalyse permet de faire remonter à la surface du conscient nos désirs secrets, le maintien en éveil de notre conscience agrandit notre entendement, et l'esprit d'autocritique assure la constance de nos recherches, indispensable dans la mesure où nous sommes des êtres de changement et où nous ne sommes plus les mêmes d'un moment de notre vie à un autre.
Dans son essai L'Être et le Néant, le philosophe existentialiste français Jean-Paul Sartre évoque le problème psychanalytique du refoulement. D'après Freud, nous avons en nous des pulsions inconscientes, que notre conscience refuse de laisser s'exprimer. Force est alors d'admettre que " la censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu'elle refoule. " Or, la censure doit nécessairement " avoir conscience de discerner " les impulsions dangereuses. Les résistances du malade soigné par la psychanalyse " impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé en tant que tel. " Les efforts de la censure pour empêcher le dévoilement de l'objet refoulé impliquent en effet " une compréhension du but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison synthétique par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l'hypothèse psychanalytique qui le vise. " Si nous n'avons pas conscience de " ces différentes opérations ", c'est que la censure est " conscience d'être conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n'en être pas conscience. " Autrement dit, la censure fait preuve de " mauvaise foi " sartrienne ; et nous avons en réalité conscience de ce que nous voulons cacher à la fois aux autres et à nous-mêmes.
Une autre manière de savoir qui je suis serait de réinvestir les " friches " de ma conscience. Rêveries, fantasmes, imagination font également partie de moi. Les refuser comme " folles du logis " nierait des pans entiers de ma personnalité. Nous sommes devant un autre paradoxe : si la rêverie est une conscience qui diminue, elle ouvre également sur le monde intérieur, à mi-chemin de la conscience et du rêve.
" Je ", on l'a vu est le sujet se pensant dans l'immédiateté, avec certains inconvénients comme l'étroitesse du champ de la conscience, sa subordination à un projet immédiat. Dans la rêverie, nous dit Gaston Bachelard ( introduction de La poétique de la rêverie), " la poésie constitue à la fois le rêveur et son monde ", une sorte de réconciliation du je et du moi. En nous obligeant à une prise de conscience, à un retour systématique sur nous-mêmes, cette manière d'utiliser l'image n'est pas une rêverie poétique mais " un accroissement de conscience, […], un renforcement de la cohérence psychique. " Bachelard propose de laisser vivre en nous la rêverie pour mieux en jouir et l'étudier, pour mieux nous construire.

Même si toute connaissance définitive de notre " moi " est à jamais hors de portée du champ de nos investigations, il est absolument nécessaire de parvenir à une meilleure connaissance de soi-même. Cette connaissance permettrait de faire en nous-mêmes la distinction entre ce qui procède de l'habitude, de l'éducation, des réflexes, du conditionnement social et ce qui procède de notre volonté consciente et indépendante.
Se demander ce que l'on peut savoir de soi est un enjeu considérable. Notre relation à nous-mêmes conditionne une claire perception non seulement de nous-mêmes, mais aussi du monde et des autres, des relations que j'entretiens avec ce monde. Je est le mieux placé pour parler de moi, même si cette place est parfois inconfortable ! Tous les moyens semblent bons pour se connaître, c'est à dire choisir sa vie. La marche vers la connaissance de soi est donc, au fond, une marche vers la liberté, une démarche philosophique.

samedi 16 mai 2015

ANTROPOSOPHIE : à propos de abeilles.

En avant vers les Mystères
Il y a des événements chez les abeilles, — malgré la science qui transforme de fond en comble
notre société — qui renvoient encore à des traits magiques. L’un d’eux c’est l’exsudation de cire.
Nectar et pollen en tant qu’aliments du couvain sont des substances, qui sont formées par la plante à
partir de la lumière — la lumière devient substances ! Chez les jeunes abeilles, l’énergie lumineuse
formatrice de substances redevient cire et elle est transformée en rayons. Dans la flamme d’une
bougie, la substance est finalement dématérialisée.
De tels processus sont des composante métamorphosées de toute institution créatrice ou groupement
créateur — dans le cas idéal, idées ou esprit sont « rendus substantiels » en prestations et produits,
dans les activité des participants, dans la configuration d’enseignement ou dans la découverte de
nouvelles thérapies pour les corps et les âmes. Idées et esprit ne deviennent alors actifs seulement
s’ils sont pris en tant que prestations et produits, utilisés et consommés, assimilés en tant que
ressources d’enseignement et développés en capacités, ou bien dans la thérapie en soignant et
guérissant par restauration de la totalité saine.
Si cela est exact, des idées, projets, concept et énergies de volonté, d’une société ont atteint leur but.
De la même façon que dans les Mystères antiques nous allions et venions aussi en tant que
communauté sociale entre l’esprit et la substance matérielle, temple et monde quotidien. Si cette
connaissance est vécue consciemment, alors la population des abeilles s
œ
urs et l’être humain
commencent lentement à se rapprocher les unes de l’autre.
Goetheanum — Département agriculture —
Rundbrief n°103, pp.10-15.
IL existe une version abrégée de ce texte parue dans Das Goetheanum 3/2014. le 17 janvier 2014
(Traduction Daniel Kmiecik, les notes sont du traducteur)



Il est des rencontres magiques qui surgissent dans notre vie sans prévenir. Il est des rencontres qui ont un caractère magique par la qualité de ce qu’elles révèlent, en nous, ou chez l'autre.
Il est des rencontres qui nous appellent au plus profond de notre être, du plus lointain de notre histoire.
Il est des rencontres qui éclaireront notre parcours de vie, d'une lumière plus vive, plus féconde...

Je souhaite à chacun de pouvoir accueillir l'une de ces rencontres si elle fait irruption dans sa vie, et de s'y abandonner de tout son cœur...

dimanche 14 décembre 2014

Dissertation de philosophie n°2 : Puis-je savoir qui je suis ? " Connais-toi toi-même " : cette inscription placée sur le fronton du temple de la pythie de Delphes est très célèbre. Cependant cette devise delphique, qu'on attribua à tort à Socrate, n'était pas un encouragement à une connaissance psychologique de soi, mais un rappel à l'ordre. Elle avait pour but de remémorer aux individus qu'ils n'étaient que des mortels : elle invitait les voyageurs à la prise de conscience de leurs propres limites. On oublie d'ailleurs que cette exhortation, " Connais-toi toi-même ", était suivie de " …et tu connaîtras les dieux. " Un individu disposant d'une connaissance parfaite de soi serait donc l'égal d'un dieu. Pour les philosophes grecs, la connaissance de soi-même est synonyme de sagesse. Elle permettrait en effet à l'individu de prendre conscience de ses propres limites, de se libérer de ses défauts, de développer ses qualités, et, en faisant abstraction de tout ce qui dans le " je " n'est pas personnel, de prendre conscience de sa véritable identité et, au fond, de sa liberté. La devise delphique laisse entendre que nous ne nous connaissons pas réellement, que la connaissance de soi n'est pas une donnée immédiate de la conscience. Elle nous invite donc à entreprendre une recherche, une descente dans les profondeurs de notre intériorité pour trouver l'essence de notre être. Or, cette recherche passe d'abord par la découverte et l'affirmation de notre moi. Cette affirmation est le fondement de la philosophie cartésienne en même temps que celui de toute entreprise de recherche de sa propre identité. Pour approfondir la connaissance que nous avons de nous-mêmes, il faut donc se demander s'il est légitime de parler du soi par soi et quels en seraient les moyens et les conditions. La recherche de la connaissance de soi a une condition : le sentiment de notre être. Descartes, dans son Discours sur la méthode, prouve que l'affirmation " Je pense, donc je suis " (c'est à dire le cogito, " premier principe " de la philosophie cartésienne) est " si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques [ne sont] pas capables de l'ébranler. " En effet, il est possible de douter de tout, même de l'existence effective de notre corps et du monde autour de nous, sauf de l'existence de notre pensée, de notre je. A partir du moment où nous nous rendons compte de l'irréfutabilité de l'existence de notre pensée indépendante, nous prenons conscience de notre " je. " Il nous est permis alors d'entamer la recherche de notre " moi ", c'est à dire de la nature de notre propre identité. Certains philosophes imaginent que nous avons à tout moment " la conscience intime de notre moi " (Hume), que nous avons un sentiment invincible de la connaissance de nous-mêmes que nous ne mettons que rarement en doute. Cependant, avoir un sentiment immédiat de notre être, ce n'est pas avoir une connaissance pleine et entière de soi. Il arrive que nous nous surprenions nous-mêmes, ou que nous passions par de graves crises de remise en question. Notre comportement, notre façon de penser varient suivant nos expériences. La connaissance de soi implique une recherche, et cette recherche doit disposer de moyens adaptés à son but. Nous sommes a priori les mieux placés pour nous connaître ; par l'introspection, nous pouvons accéder à une certaine connaissance de nos sentiments, de nos qualités et de nos défauts, de nos motivations et de nos convictions. Mais accède-t-on à un niveau particulier de la réalité mentale par l'introspection, ou cette méthode tend-elle a susciter l'objet même auquel elle prétend accéder? Le paradoxe de l'introspection est que le sujet se confond avec l'acte de s'observer lui-même. De même l'introspection est normalisée par le langage. Il n'en reste pas moins que l'idée de "savoir " ce qu'on est soi-même soulève des difficultés de principe : en quel sens emploie-t-on " savoir ", s'il s'agit d'intériorité ? Il paraît difficile par ce moyen d'avoir une connaissance objective de nous-mêmes : la connaissance que nous pouvons avoir de nous par l'introspection passe à travers le filtre de l'opinion que nous nous faisons de nous. Ainsi, nous pouvons être tentés d'exagérer, d'amoindrir ou de taire certains de nos défauts. Dans son roman de science-fiction La Révolution des Fourmis, Bernard Werber nous rappelle que " pour comprendre un système, il faut… s'en extraire. " Or, il est impossible de " sortir de soi " ! Je suis à la fois le sujet et l'objet. Le Je qui pense le moi en est une émanation. L'introspection ne peut, seule, mener à la connaissance de soi. De plus, elle est presque impuissante à juger nos actions sans prise de recul : le temps et l'expérience qu'il délivre permet parfois de porter un regard réellement critique sur le " soi " que l'on était auparavant - mais elle ne peut permettre d'éviter les ennuis ayant résulté d'une mauvaise action passée de notre part, elle permet tout au plus de prendre conscience de nos erreurs passées. Il apparaît donc clair que l'introspection ne peut suffire au philosophe recherchant son identité réelle. Il lui est indispensable de prendre en compte les réactions de l'Autre devant les manifestations dans le monde extérieur de sa pensée, de ses sentiments. Si possible, il devra faire directement appel au jugement de l'Autre. Il lui sera ainsi permis de prendre conscience de ce qu'il se cachait, de ce à quoi il n'avait pas pensé. Il aura l'impression que la vérité lui " saute aux yeux ", et il aura fait un grand pas dans la connaissance qu'il a de sa propre intériorité. Cependant, ce deuxième moyen d'accéder à la connaissance de soi n'est pas parfait ; en effet, la vision que l'Autre nous donne de nous-mêmes, si elle a le mérite d'être différente de la nôtre, n'est pas purement objective : son jugement peut être déformé par l'amitié ou l'antipathie qu'il éprouve pour nous. En outre, sa critique est nécessairement incomplète, puisqu'elle ne peut s'appliquer que sur les traits de notre caractère que nous laissons transparaître, consciemment ou non, au-dehors. L'Autre ne peut voir que mon masque social, le " persona " des latins. De plus, l'Autre n'a pas forcément connaissance de notre expérience personnelle, qui influence considérablement notre psychisme. De sa place, il ne voit qu'une facette, qu'une manifestation de notre personnalité, certainement influencée par sa présence. Le regard de l'observateur modifie déjà l'objet d'observation : alors quand cet objet est un sujet capable de se modifier lui-même, cela nous entraîne dans un jeu de miroirs peu propice à l'observation. En effet, nous sommes des êtres changeants : notre manière d'être, notre rapport aux choses, nos convictions, peuvent varier infiniment d'un moment de notre vie à un autre. Là encore, notre expérience personnelle joue un grand rôle sur ce que nous sommes, en influençant l'évolution de nos pensées conscientes et inconscientes. Deux amis d'enfance se retrouvant après plusieurs années risquent de ne plus se reconnaître, voire de ne plus prendre plaisir en compagnie de l'autre, tandis que si leurs voies ne s'étaient pas séparées, leur amitié serait peut-être restée intacte. La connaissance de soi ne peut donc être à la fois totale et définitive : l'évolution de ce que nous sommes, conditionnée par l'évolution du monde autour de nous, est un processus continu, qui ne connaît de fin qu'avec la mort. . " La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus " Montaigne, (Essais 1.3) souligne ainsi la perpétuelle mutation, la marche en avant de l'être. Il montre aussi que notre faculté à nous projeter vers l'avenir constitue un obstacle à la connaissance de notre moi. S'il est probable de retrouver chez un individu les mêmes traits de caractère à différentes étapes de sa vie, il est fort rare que ces caractéristiques mêmes qui font la spécificité de cette personne n'aient pas évolué tout au long de son existence. "On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. " (Héraclite.) La recherche de notre " moi " s'apparente donc à la recherche philosophique de la sagesse, dans la mesure où cette recherche est infinie. Se connaître soi-même, ce serait se chercher à chaque instant, s'exercer sans cesse à l'autocritique. Cet appel régulier à l'autocritique, on l'a vu, doit s'appuyer à la fois sur l'introspection et l'appel au regard de l'Autre, et rechercher la vérité dans la confrontation des subjectivités. La recherche de la nature du " moi " nécessite un esprit critique envers soi-même, une grande capacité d'abstraction (puisqu'il faut s'efforcer d'oublier son amour-propre pour se considérer le moins subjectivement possible), une grande constance (il ne faut jamais se surprendre à croire que l'on se connaît " une fois pour toutes ") et un esprit à la fois analytique et synthétique : pour arriver à la connaissance de soi, il faut en effet savoir confronter efficacement les subjectivités (la sienne et celle de l'Autre) pour en faire jaillir la vérité. Cependant est-il possible d'accéder à une connaissance pleine et entière de soi ? Il est clair que les moyens que nous avons passés en revue permettent d'explorer notre intériorité, mais leur combinaison adroite peut-elle, seule, nous amener à la connaissance de l'ensemble de notre être ? Les découvertes de la psychanalyse, et les travaux des différents philosophes que l'on peut qualifier de " précurseurs " de cette science, semblent prouver que non. En effet, notre conscience ne serait qu'une partie de notre " moi " total, autrement dit, l'Homme est plus que la simple conscience qui semble a priori le diriger. Rêves, actes manqués, lapsus, névroses et psychoses diverses attestent l'existence d'un " moi " plus profond que notre " moi " pensant et organisateur de pensée, d'un inconscient formé de pensées refoulées par un " organe de censure " de notre conscience mais qui, parfois, remontent à la surface - et se traduisent par des " symptômes " parfois dangereux pour la personne. Freud, le fondateur de la psychanalyse, affirme même dans sa Métapsychologie que " ce n'est qu'au prix d'une prétention intenable que l'on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience. " Autrement dit, la conscience ne représente qu'une infime partie de notre moi, et toute connaissance de ce que nous sommes vraiment est définitivement hors de notre portée. La conscience ne serait qu'une île minuscule, perdue au milieu d'un immense océan de pulsions refoulées. Les habitants de l'île de Conscience seraient de malheureux sauvages, toujours le ventre vide, en même temps effrayés et attirés par l'étendue d'eau sans limites s'étalant autour de leur territoire. L'île de Conscience est régulièrement submergée par les vagues de l'inconscient, causant des dégâts considérables. Les Consciencieux aimeraient découvrir le vaste monde, mais les misérables arbres aux branches tordues poussant sur le sol rocailleux de leur îlot ne peuvent suffire à la construction du navire de fort tonnage qui pourrait servir à leur expédition. De plus, certains d'entre eux sont terrifiés par la Mer de l'Inconscience et par les créatures qui en habitent les profondeurs. De plus, il existe sur l'île de Conscience des terres en friches, inexplorées par ses habitants. Dans ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, Leibniz montre qu' " il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, […] dont nous ne nous apercevons pas. " Il existe en effet des " degrés " dans l'échelle de la conscience : conscience en sommeil, conscience éveillée, conscience active, conscience absolue. Il faut bien admettre que la plupart du temps, nous ne prenons pas la peine d'analyser tous les messages qui nous parviennent. En passant d'un degré de conscience à un autre, nous éprouvons, en un court instant, la sensation d'un homme qui, après des années passées dan un cachot obscur, recouvre sa liberté et contemple à nouveau la lumière du jour. Cependant nous passons la plus grande partie de notre vie dans la pénombre de notre conscience, nous ne prenons en compte, des sensations qui nous parviennent du monde extérieur, que celles qui s'imposent directement à nous avec force ; or, pour accéder à la pleine conscience de nous-mêmes et du monde extérieur, il faudrait réinvestir le terrain de notre entendement, et ramener vers la conscience tout ce qui nous parvient, ainsi que tout ce que nous avons en apparence oublié mais qui agit encore sur notre psychisme. C'est un véritable travail de tous les instants, peut-être le véritable sens du mythe de Sisyphe. Autrement, nous serions condamnés à mener une vie de fantômes, au milieu des ténèbres de l'absence de conscience. " Nous sommes des automates les trois quarts de notre vie ", disait Leibniz. En effet, nous sommes le plus souvent guidés par nos habitudes, nos réflexes, notre éducation et nos sentiments inconscients que par notre véritable conscience. Faut-il cependant, devant les faits mis en évidence par la psychanalyse, abandonner toute recherche de soi ? Faut-il, au contraire, poursuivre l'entreprise commencée et aller toujours plus avant dans la recherche de la connaissance de soi ? Avons-nous les moyens d'explorer notre inconscient ? S'il est fort improbable que nous puissions parvenir à une connaissance absolue de nous-mêmes - ce qui ferait de nous l'égal des " dieux " qu'évoque l'inscription du temple de Delphes -, nous pouvons tout de même accéder à une meilleure connaissance de nous-mêmes. L'introspection nous permet de mettre de l'ordre dans nos sentiments, l'appel au regard de l'Autre nous donne une vision de nous-mêmes plus objective, la psychanalyse permet de faire remonter à la surface du conscient nos désirs secrets, le maintien en éveil de notre conscience agrandit notre entendement, et l'esprit d'autocritique assure la constance de nos recherches, indispensable dans la mesure où nous sommes des êtres de changement et où nous ne sommes plus les mêmes d'un moment de notre vie à un autre. Dans son essai L'Être et le Néant, le philosophe existentialiste français Jean-Paul Sartre évoque le problème psychanalytique du refoulement. D'après Freud, nous avons en nous des pulsions inconscientes, que notre conscience refuse de laisser s'exprimer. Force est alors d'admettre que " la censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu'elle refoule. " Or, la censure doit nécessairement " avoir conscience de discerner " les impulsions dangereuses. Les résistances du malade soigné par la psychanalyse " impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé en tant que tel. " Les efforts de la censure pour empêcher le dévoilement de l'objet refoulé impliquent en effet " une compréhension du but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison synthétique par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l'hypothèse psychanalytique qui le vise. " Si nous n'avons pas conscience de " ces différentes opérations ", c'est que la censure est " conscience d'être conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n'en être pas conscience. " Autrement dit, la censure fait preuve de " mauvaise foi " sartrienne ; et nous avons en réalité conscience de ce que nous voulons cacher à la fois aux autres et à nous-mêmes. Une autre manière de savoir qui je suis serait de réinvestir les " friches " de ma conscience. Rêveries, fantasmes, imagination font également partie de moi. Les refuser comme " folles du logis " nierait des pans entiers de ma personnalité. Nous sommes devant un autre paradoxe : si la rêverie est une conscience qui diminue, elle ouvre également sur le monde intérieur, à mi-chemin de la conscience et du rêve. " Je ", on l'a vu est le sujet se pensant dans l'immédiateté, avec certains inconvénients comme l'étroitesse du champ de la conscience, sa subordination à un projet immédiat. Dans la rêverie, nous dit Gaston Bachelard ( introduction de La poétique de la rêverie), " la poésie constitue à la fois le rêveur et son monde ", une sorte de réconciliation du je et du moi. En nous obligeant à une prise de conscience, à un retour systématique sur nous-mêmes, cette manière d'utiliser l'image n'est pas une rêverie poétique mais " un accroissement de conscience, […], un renforcement de la cohérence psychique. " Bachelard propose de laisser vivre en nous la rêverie pour mieux en jouir et l'étudier, pour mieux nous construire. Même si toute connaissance définitive de notre " moi " est à jamais hors de portée du champ de nos investigations, il est absolument nécessaire de parvenir à une meilleure connaissance de soi-même. Cette connaissance permettrait de faire en nous-mêmes la distinction entre ce qui procède de l'habitude, de l'éducation, des réflexes, du conditionnement social et ce qui procède de notre volonté consciente et indépendante. Se demander ce que l'on peut savoir de soi est un enjeu considérable. Notre relation à nous-mêmes conditionne une claire perception non seulement de nous-mêmes, mais aussi du monde et des autres, des relations que j'entretiens avec ce monde. Je est le mieux placé pour parler de moi, même si cette place est parfois inconfortable ! Tous les moyens semblent bons pour se connaître, c'est à dire choisir sa vie. La marche vers la connaissance de soi est donc, au fond, une marche vers la liberté, une démarche philosophique.

A MATHILDE


Qui ne connaît pas la légende d'Orval?

En 1076, la duchesse Mathilde de Toscane vient prendre possession de son fief de Chiny. Malheureusement, alors qu'elle venait de perdre son mari depuis peu, son fils de 8 ans meurt noyé dans les eaux glacées de la Semois. Pour tenter d'oublier son chagrin, Mathilde se réfugie chez les bons moines.
Un jour, lors d'une promenade dans la grande forêt de Gaume, elle découvre une petite fontaine. Elle s'y repose un moment en laissant tremper distraitement sa main dans l'eau cristalline. Mal lui en pris, son alliance dorée, ultime souvenir de son défunt mari, disparut au fond de la fontaine.
Mathilde fit alors le voeu d'ériger ici un monastère si elle retrouvait sa bague.
C'est alors que surgit de l'eau, la célèbre truite, figure emblématique que l'on retrouve mainteant aux quatres coins du mone sur toutes les bouteilles d'Orval. Elle rendit la bague d'or à Mathlide qui baptisa derechef l'endroit "Val d'or" et fut fidèle à sa promesse.
C'est ainsi que naquit l'abbaye d'Orval !

samedi 13 décembre 2014

du bourrage de crâne scolaire


    Il est extrêmement nuisible pour notre époque qu'un grand nombre d'hommes, qui occuperont des postes élevés dans la vie publique, fassent des études comme on les fait maintenant. Pour des branches entières su savoir on fait vraiment, à l'université, durant toute l'année, tout autre chose que d'approfondir la pensée et le sujet que les professeurs traitent dans leur cours, mais. On va de temps en temps à ces cours, mais quant à ce que l'on veut vraiment posséder, on l'apprend en quelques semaines. Autrement dit on s'en bourre le crâne. C'est là qu'est le mal. Etant donné que ce "bourrage de crâne" s'étend jusqu'aux degrés scolaires inférieurs, les inconvénients n'en sont nullement négligeables. Lors de ce gavage intellectuel le fait essentiel est qu'il n'y a aucun lien véritable entre l'intérêt psychique, entre le noyau intime de l'être et ce que l'on ingurgite ainsi. L'opinion qui règne dans les écoles, parmi les élèves, est celle-ci : "Ah, si seulement je pouvais bientôt avoir oublié ce que j'apprend maintenant !" Ainsi il n'y a point là une volonté avide d'assimiler ce que l'on apprend. Seul un faible lien d'intérêt le relie au centre de l'âme.
    Il résulte de cet état de chose que les êtres humains s'estiment, en une certaine mesure, être préparés de cette manière à participer à la vie publique, parce qu'ils se sont "bourré" la tête de ce qu'ils voulaient apprendre. Mais, du fait qu'ils ne s'y sont pas intimement liés, ils restent psychiquement fort fort éloignés de ce qui se passe dans leur tête. Or, il n'y a rien de pire pour l'individualité entière de l'homme que d'être, avec son âme et son coeur, étranger à ce que doit faire sa tête. Ce n'est pas seulement en désaccord avec l'être de l'homme évolué et sensible, mais cela influence au plus haut point la force, l'énergie du corps éthérique, oui, précisément du corps éthérique. Celui-ci s'affaiblit ainsi de plus en plus, par suite d'une relation insuffisante entre le centre de l'âme et l'activité humaine. Plus un homme doit s'occuper de ce qui ne l'intéresse pas, plus il affaiblit son corps éthérique, con corps vital.
RUDOLF STEINER

 "Nervosité et le Moi"Munich, 11 janvier 1912

jeudi 11 décembre 2014

Fais en toi la part du mystère, ne te laboure pas toujours tout entier du soc de l'examen, mais laisse en ton cœur un petit angle en jachères pour les semences qu'apportent les vents, et réserve un petit coin d'ombrage pour les oiseaux du ciel qui passent ; aie en ton âme une place pour l'hôte que tu n'attends pas, et un autel pour le dieu inconnu. Et si un oiseau chante par hasard dans ta feuillée, ne t'approche pas vite pour l'apprivoiser. Et si tu sens quelque chose de nouveau, pensée ou sentiment, s'éveiller dans le fond de ton être, n'y porte point vite la lumière ni le regard ; protège par l'oubli le germe naissant, entoure-le de paix, n'abrège pas sa nuit, permets-lui de se former et de croître, et n'ébruite pas ton bonheur. Œuvre sacrée de la nature, toute conception doit être enveloppée du triple voile de la pudeur, du silence et de l'ombre. Sois discret, sache attendre, et rappelle-toi que la nature jalouse frappe le plus souvent de mort ce que la curiosité vaine ou le babil intempestif ont profané. Respecte le secret qui est en toi, ne hâte pas les temps, et même au jour heureux de la naissance, si tu es sage, que ta pensée, ton imagination ou ton cœur ne convoquent pas encore des témoins comme le font les reines, mais plutôt s'épanouissent comme la rose des Alpes dans la solitude.

Grains de mil: poésies et pensées - Pensées. Expériences, tableaux, jugements, maximes
[ Henri-Frédéric Amiel ]

mercredi 10 décembre 2014

......Ces éléments (corps physique, corps éthérique, corps astral et Moi) ne constituent pas encore la totalité de la nature humaine. Déjà lors de sa toute première incarnation sur terre l'homme possédait ces éléments; or le passage à travers les différentes incarnations implique un progrès, un développement. Ce progrès consiste dans le fait que l’homme, à partir de son Moi, travaille à transformer ses trois corps inférieurs. Si l’on considère un homme, qui, dans un passé très lointain, en est à sa première incarnation, con constate qu’il est l’esclave de ses passions, de ses convoitises; il possède bien ses quatre corps y compris le Moi, mais sa conduite ne se distingue guère de celle d’un animal. Si nous comparons cet être à un homme pénétré d’un idéal élevé, nous verrons que le premier, le sauvage, ne s’est pas encore efforcé, à partir de son Moi, de purifier son corps astral. C’est, en effet, dans ce travail sur le corps astral que consiste le premier progrès de l’évolution humaine. Peu à peu, l’homme apprend à maîtriser certaines tendances originelles du corps astral. Actuellement, l’Européen moyen considère que, s’il peut donner libre cours à certains instincts, il en est d’autres auxquels il se doit de résister. Nous appelons « Soi-Esprit » cette partie originelle du corps astral que l’homme a placée sous la domination de son Moi; on l’a aussi appelée le Manas. Ce Manas est donc le produit d’une métamorphose du corps astral; mais une nouvelle disposition ou ordonnance des éléments de ce corps peut donner naissance au Manas.
En outre, l’homme, au cours de son évolution, peut acquérir la faculté de travailler non seulement à son corps astral, mais aussi à son corps éthérique. Essayons de nous rendre compte en quoi consiste cette dernière faculté. Si l’on se rappelle quel était notre bagage intellectuel quand nous avions huit ans, et que l’on considère tout ce que nous y avons ajouté depuis, toutes les idées morales, par exemple, dont nous nous sommes pénétrés, nous pourrions nous attendre à ne plus nous laisser aller aveuglément à nos passions. Et pourtant ! Admettons, par exemple, que nous avons été un enfant sujet à des accès de colère, et demandons-nous dans quelle mesure nous nous sommes corrigés; il nous faudra bien avouer que parfois nous nous emportons encore. Ou encore essayons de nous représenter combien peu nous avons réussi à améliorer notre mémoire, dans quelle infime mesure l’homme arrive à modifier les mauvaises dispositions de son caractère, à éclairer sa conscience, à transformer son tempérament. J’ai souvent comparé ces velléités et ces bonnes intentions à la lente progression de l’aiguille du cadran qui marque les heures. Mais c’est en cela justement que consiste l’initiation de l’élève. L'étude n'est qu'une simple préparation; il est infiniment plus important d'essayer de modifier son tempérament déficient. Si, d'une mémoire faible, on en fait une bonne, si la colère est devenu patience, si on a transformé en sérénité son tempérament mélancolique, on a fait plus de progrès dans la voie de l'initiation que si on a passé sa vie à enrichir son savoir. De pareils efforts sont une source de forces occultes et nous indiquent que le Moi travaille au corps éthérique et non seulement au corps astral.
Pour autant que les dispositions du caractère se font jour dans la conduite de l’homme, il les faut chercher dans le corps astral, mais il faut descendre jusqu’au corps éthérique si l’on veut les modifier ou les corriger. La part du corps éthérique que le Moi a métamorphosée prend le nom d’ « Esprit-de-vie », que l’on trouve sous le nom de Bouddhi dans la littérature théosophique. La substance de Bouddhi n’est pas autre chose que la partie du corps éthérique transformée par le Moi.
Quand le Moi devient si fort qu’il apprend à transformer non seulement le corps éthérique, mais encore le corps physique le plus dense de la nature humaine, alors nous disons que l’homme a développé en lui l’élément le plus élevé de sa nature actuelle, qu’on appelle l’Homme-Esprit ou Atma. En effet, ce corps physique est ainsi fait que les forces qui l’animent tirent leur origine du plus haut des mondes; aussi est-ce dans ces hautes régions spirituelles qu’il faut aller chercher les forces aptes à la métamorphoser. On commence cette métamorphose en modifiant le processus de la respiration. Atma signifie respiration. Par là, on influence sur l’état du sang et, comme le sang nourrit le corps physique, le travail effectué sur ce qu’on appelle l’Arma a sa répercussion jusque sur le monde spirituel le plus élevé.
Il faut cependant distinguer entre deux formes de métamorphose, ou, plus exactement, l’on parlera d’une métamorphose consciente et d’une métamorphose inconsciente. En fait, chaque Européen a déjà, à l’époque actuelle, transformé inconsciemment les corps inférieurs de sa nature. Au point actuel de son évolution, il ne travaille consciemment qu’à l’élaboration de Manas, et il doit d’abord devenir un initié, s’il veut apprendre à agir en pleine conscience sur le corps éthérique.
Nous avons donc les trois corps originels de la nature humaine que tout homme a déjà possédés au début de l’évolution terrestre, et, dans ces corps, le Moi. Puis la métamorphose commence. Longtemps elle reste inconsciente, et ce n’est qu’à notre époque que l’humanité s’astreint à transformer le corps astral consciemment. Les initiés travaillent aujourd’hui au corps éthérique et, dans l’avenir, tous les hommes transformeront les corps éthérique et physique en pleine conscience.
Ainsi, nous avons les trois corps originels de l’homme : les corps physique, éthérique, astral, et le Moi. Le Moi est l’élément actif de ces métamorphoses, il s’attaque d’abord aux corps inférieurs, ce qui, partiellement, est déjà chose faite pour l’homme actuel. De ce travail inconscient naissent les germes des éléments supérieurs : Manas, Bouddhi, Atma.

Extrait de:
Théosophie du Rose-Croix.
Deuxième conférence : « Les neuf éléments de l’entité humaine »
Munich, 25 mai 1907